Distance totale : 380 km. Dénivelé positif : 34 200 m.
Voici le récit de trois semaines de randonnée pour traverser les Dolomites en bivouac avec quatre amis marcheurs. Nous avons traversé une bonne partie du nord de l’Italie en passant aussi par la Suisse et la frontière autrichienne. Le parcours était improvisé au jour le jour. Nous avions prévu de vaguement suivre la Via Alpina sur le début mais nous en avons vite dévié…
Avant de commencer le récit, une petite précision pour ceux qui se posent la question : bien que le camping sauvage soit interdit, le bivouac est autorisé en Italie. Par “bivouac”, je sous-entends qu’il faut planter sa tente une nuit seulement, généralement entre 19h et 8h.
Le massif de l’Ortler
Départ de Tirano
+ 900 m / – 100 m 5 km
Nous voilà partis à quatre en ce début de mois d’août, lestés comme il se doit d’un sac que nos épaules mettront quelques jours à supporter convenablement. Passage par Milan à midi, qui me fait penser à Ho-Chi Minh ville en plein cagnard. Cela ne s’améliore pas quand on rentre dans un train sans clim’. On ne rêve tous que d’une chose : prendre de l’altitude ! C’est ce que nous nous empresserons de faire en arrivant à Tirano en fin de journée. Après une suée conséquente, bivouac sur les pentes en plein milieu des bois car nous sommes encore loin des prairies d’altitude.
Escapade en Suisse, le val Poschiavo
+ 2300 m / – 1900 m 25 km
Nous étions partis le matin avec comme projet de suivre plus ou moins la Via Alpina. Mais, sur un coup de tête, nous décidons de faire une incursion en Suisse dans le val Poschiavo. Celui-ci est une vraie enclave à l’intérieur de l’Italie (regardez la carte !). D’ailleurs les gens y parlent un patois italien.
Cette journée se révèle vite assez épuisante car il s’agit d’une série de montées et de descentes, même pas forcément très pentues. Paysage typique de vallée suisse avec des chalets et des vaches. Lors d’une pause dans un hameau, une habitante prenant pitié de notre air épuisé nous offre des bières. De quoi bien se remettre d’aplomb ! Une dernière tirée et nous posons notre tente sur un promontoire à côté d’une piste peu passante. Sans trop nous en rendre compte, nous réalisons ce jour la plus longue étape de notre parcours ! Journée de fond de vallée finalement peu intéressante du point de vue des paysages. Toutefois la générosité des habitants justifiait le détour !
Retour en Italie, le val Viola, Bormio et les contreforts du Stelvio
+ 1500 m / – 1300 m 24 km
Démarrage de la journée par le premier vrai dénivelé positif d’une traite de la randonnée, ça fait plaisir. Nous remontons la vallée de Campo entre rivières murmurantes et lacs d’eau pure. Une baignade dans le premier lac : nous ne sommes pas seuls à cette heure matinale ! L’influence suisse se fait sentir. Puis nous continuons jusqu’au col du val Viola.
Arrivés au refuge derrière le col, surprise : une polenta tout à fait accessible à 7 € avec de la saucisse ! Nous sautons sur l’occasion. L’Italie, y’a pas à dire, c’est quand même mieux que la Suisse pour le porte-monnaie ! D’ailleurs nous achetons à côté l’un des meilleurs fromages de notre randonnée, une sorte de reblochon à un prix imbattable. Puis redescendons prendre un bus pour aller au village de Bormio. Nous essuyons l’une des seules pluies diurnes de cette première semaine, puis faisons une ventrée de pêches au village. Les fruits, ça ne se porte pas, ça se mange sur place ! Surtout quand ils sont à 2€ le kilo…
Nous n’avons pas le temps d’aller bien loin pour le bivouac, surtout que les pentes sont très raides sur une grande distance. Nous campons donc à côté de la route menant au col du Stelvio, pas loin d’un poteau électrique. Pas le meilleur bivouac du séjour, même si la vue sur les falaises vaut le coup d’œil…
Le col du Stelvio et le Tyrol
+ 2100 m / – 1400 m 17 km
Après un orage nocturne (qui sera notre lot quotidien tout au long de la randonnée, canicule oblige), nous voilà partis pour affronter le Stelvio. Près de 1500m de montée d’une traite ! Elle se fait sans heurts, mis à part des chemins un peu difficiles à trouver par moments.
Après nous être élevés au-dessus des vertigineuses falaises, nous tombons sur un village militaire. Il servait de camp de base pour défendre la frontière Autriche-Italie lors de la Première Guerre Mondiale. Les bâtiments sont aujourd’hui pour la plupart effondrés, mais cela peut donner une idée des conditions dans lesquelles vivaient ces soldats (nous passons en plein mois d’août, et il fait frisquet !). Après une cheminée bien raide et un long passage en crête, nous dominons le col du Stelvio, juste à côté des glaciers et des moraines du Monte Cristallo. Au col, nous réalisons rapidement que nous sommes désormais dans le Tyrol puisque tout le monde parle autrichien. Même lorsqu’on tente d’établir la conversation en italien ! Nous bivouaquons un peu en-dessous du col, enfin dans un vrai bivouac d’altitude. Les glaciers sont magnifiques dans le soleil couchant et levant.
Sur les flancs de l’Ortler
+ 2200 m / – 1600 m 17 km
Nous tentons d’abord la descente sur le sentier du glacier mais pas de chance, celui-ci est fermé. Nous descendons donc sur l’immense moraine laissée par le recul du glacier. Celui-ci était donc beaucoup plus bas au moment de la guerre de 14… Alors que le col du Stelvio fut le théâtre d’affrontements tout au long de la guerre ! Puis remontée bien raide dans un paysage de plus en plus accidenté jusqu’au refuge Payer, point de départ des alpinistes partant pour l’Ortler. L’Ortler, c’est le géant (3905m) que nous passons la journée à contourner et qui nous domine de ses glaciers blanc éclatant. Au passage, nous voyons un gypaète nous survoler sur la crête.
Puis nous redescendons jusqu’au refuge del Coston. C’est le premier des 4 refuges que nous croisons de la journée à proposer de l’eau potable aux voyageurs itinérants ! Heureusement que nous prévoyons large… Nous y bivouaquons. Il fait une température très élevée pour cette altitude, je n’ai même pas besoin d’enfiler la polaire le soir ! Nous nous réfugions sous la tente lors de la pluie du soir avec un dernier regard sur la chaîne de glaciers du mont Zebrù (juste derrière l’Ortler).
Le col Madriccio et le val Martello
+ 1600 m / – 1500 m 16 km
Après nous être battus contre un troupeau de moutons très intéressés par notre lait (en poudre) du matin, nous voilà repartis sur une grande moraine où l’on peut parfois voir la glace affleurer. Nous achetons d’urgence au refuge suivant de quoi remplir notre « boîte à fromages » quasi-vide. Cela fait bien longtemps que nous n’avons pas pu passer par un approvisionnement ! Cette boîte se doit d’être en permanence remplie d’au moins un kilo de délices lactés, notre carburant principal pour le repas du midi.
Un petit coup de collier pour le col Madriccio (3123m) puis redescente sur le magnifique val Martello. Celui-ci est un vrai concentré de beauté. Petit ruisseau d’alpage en altitude, puis sentier en bord d’un gros torrent qui rugit dans des ravins (et ça mouille !), enfin vaches en pagaille et petits lacs. Nous prenons le temps de nous arrêter pour manger un des meilleurs apfelstrudel du séjour, ainsi que des fraises en quantité puisqu’il semble que ce soit la spécialité du val (tous les restaurants en proposent !).
Nous sautons ensuite dans un bus qui nous amènera un peu plus loin dans la vallée, à pied d’œuvre pour une dernière montée bien raide dans les conifères. Très sympathique ferme-auberge (hütte en autrichien, ou alm en italien) près de laquelle nous bivouaquons. Cette fois-ci la pluie sera encore plus tôt puisque nous serons obligés de rentrer sous les tentes pour manger notre repas chaud.
Col de Soi, Sainte Gertrude
+ 1500 m / – 1700 m 17 km
C’est une montée bien raide qui nous attend le matin, avec de la caillasse glissante sur la fin. Mais cela ne fait pas peur à la bande de montagnards endurcis que nous sommes devenus et nous atteignons rapidement le col de Soi. La redescente sur Sainte Gertrude est tout à fait plaisante. Un ruisseau arrive à point nommé pour le repas de midi et permet de nous débarbouiller. L’arrivée au village, pourtant au-dessus de 1000m d’altitude, se fait dans une chaleur écrasante. Nous pensions trouver un magasin pour nous réapprovisionner, mais c’est la déception : ce village est uniquement une zone pavillonnaire…
Nous échangeons l’un des protagonistes de notre randonnée pour un autre, timing parfait ! Heureusement, il nous amène de la nourriture pour un jour de plus. Puis nous repartons en fin d’après-midi pour gagner un peu d’altitude avant de bivouaquer. Excellente idée au demeurant : nous découvrons un lac d’altitude tout à fait bucolique, idéal pour poser la tente. Avec en prime des myrtilles à foison à récolter ! De gros cumulonimbus se lèvent à l’horizon. Ca a l’air d’un bon gros orage mais heureusement il est loin et tarde à venir. Il éclatera finalement en début de nuit. Des trombes d’eau font résonner les tentes tandis que la foudre tombe continuellement à peu de distance. Nous avons choisi un emplacement pas trop exposé, mais cela n’empêche pas de se sentir peu rassuré sous la force des éléments…
Collechio et l’hospitalité à Piazzola
+ 1000 m / – 1800 m 16 km
En nous levant, nous constatons qu’une petite dépression voisine est devenue… un étang ! De l’utilité de savoir bien planter sa tente ! Le départ se fait sur un sol spongieux. Nous passons tout le matin à longer une vallée aux multiples lacs, peut-être bien remplis par la pluie de cette nuit. C’est magnifique. Passage par la croix de Collechio (2950m), puis redescente sur une autre vallée elle aussi pleine de lacs ! Nous nageons un peu dans le plus grand à midi. La redescente dans la vallée se fait sous un bon gros grain. Nous sortons pour la première fois sérieusement les affaires de pluie. Nous finissons même par nous abriter en grelottant sous un arbre que la pluie finisse. Le fond de vallée est rempli d’écharpes de brume, c’est superbe. Arrivée au petit village de Piazzola vers les 16h, où nous apprenons que le prochain bus est à… 19h !
Qu’à cela ne tienne, il y a un supermarché coop et un bar de village, largement de quoi passer le temps. Nous nous ravitaillons enfin à fond. Peut-être un peu trop vu le poids des sacs : la gourmandise est le pire ennemi du randonneur… Puis nous profitons d’un délicieux chocolat chaud à l’italienne au bar. Dix minutes avant de sortir prendre le bus, un habitant entre dans le bar, avise nos sacs et nous offre immédiatement le verre de l’amitié ! Nous avons beau protester que le départ est proche, il n’en démord pas. Nous acceptons avec plaisir le vin rouge local et réussissons à entretenir un semblant de conversation en italien avant de devoir prendre le bus. C’est indéniable, nous avons quitté le Tyrol et ses mœurs germaniques pour une région plus italienne dans l’âme… ça fait plaisir !
Faute de temps en arrivant au village suivant, et après avoir hésité à camper dans le jardin public, nous optons pour un bord de chemin tranquille de l’autre côté de la rivière. Pas le plus beau bivouac du côté de la vue, mais ça fait du bien aussi de se retrouver en pleine forêt.
Les Dolomites en bivouac
Les Dolomites de Brenta, 1. De l’art d’un sentier balcon
+ 2000 m / – 1000 m 16 km
Aujourd’hui, après ce prélude d’une semaine près de nombreux glaciers, nous entrons dans une nouvelle étape pour notre randonnée : les Dolomites. Et nous commençons par une partie peu connue de ce massif, les Dolomites de Brenta. Après un bon 1000m de dénivelé d’un coup (au long desquels l’altitude est indiquée à chaque virage : déprimant…), nous découvrons brusquement les formes rocheuses bien particulières des Dolomites. Le pique-nique se fera dans un cadre idyllique, herbe verte, sommets rocheux et clarines en prime. D’autant plus que nous avons pu faire des provisions de gorgonzola dans la vallée : quel délice ! Depuis ce jour nous ferons en sorte d’en avoir toujours en stock pour nos pique-niques.
L’après-midi nous attaquons un passage bien rocheux où il faut s’aider un peu des mains sur la fin. Puis cheminement sur de grandes dalles parsemées de lézardes un peu partout. Nous prenons un tournant après un col, et là… C’est tout bonnement superbe, l’un des meilleurs passages de cette randonnée ! Nous suivons un pur sentier balcon, situé sur un petit replat herbeux entre deux falaises et parsemé d’Edelweiss sur toute sa longueur. Devant nous s’ouvre peu à peu une vue sur la vallée du cœur du massif et un joli lac que nous n’avions pas vu sur la carte. Surprise d’autant plus plaisante ! Les falaises dolomitiques sont partout.
Après ce moment mémorable, nous nous avisons que l’étape prévue est beaucoup trop longue. C’est pourquoi nous redescendons donc par un sentier bien raide jusqu’à la Malga Tuena où nous dégustons un yaourt de chèvre au miel bien mérité. Nous quittons le refuge pour laisser la place à des scouts. Puis nous dressons le camp dans un joli petit val un peu plus loin (près d’une source, avantage certain car elles sont peu nombreuses dans le coin !).
Les Dolomites de Brenta, 2. Journée de plein air
+ 1600 m / – 1500 m 16 km
Les premières heures de randonnée se font dans une chaleur inhabituelle pour un matin, on a l’impression d’être dans une cocotte-minute, même la vapeur est au rendez-vous. Nous arrivons en suant à un petit col à la suite duquel il est indiqué sur la carte qu’il y a un passage équipé pour randonneurs… Surprise : nous nous retrouvons face à un panneau indiquant une via ferrata ! Qu’à cela ne tienne, le passage n’ayant pas l’air bien compliqué, nous nous y risquons quand même. En effet, il s’agit d’une série d’échelles et de passages raides avec main courante. Pas vraiment une via ferrata, mais un peu plus qu’un passage équipé… Nous restons prudents et le passage se négocie sans souci.
Le reste de la journée se fait sous un temps un peu grisouillant. D’autant plus que le paysage n’a rien de remarquable : la station de ski est non loin de là. En fin d’après-midi, nous arrivons à une ferme-auberge (malga Spora) où le prix des pâtisseries et de la grappa sont imbattables. Cela nous donnera des forces pour l’ultime descente de 1000m qui nous attend juste après. A peine arrivés dans le fond de la vallée très raide, nous entendons un orage passablement monstrueux qui gronde en permanence arriver par les sommets. A peine le temps de repérer un coin passable, et nous plantons la tente juste avant le déluge. Ce sera décidément l’un de nos coins de bivouac le moins fameux : sur de la caillasse bien peu confortable et au bord d’un chemin 4*4 au milieu des bois….
Un repos bien mérité
+ 500 m / – 200 m 7 km
Aujourd’hui il est prévu de se la couler douce et ce n’est pas dommage au vu de nos grosses journées précédentes qui nous ont laissés passablement fatigués ! Quelques kilomètres le matin pour rejoindre Andalo, station de sports d’hiver sans grand intérêt. Nous nous réjouissions de pouvoir faire trempette dans le lac… avant de constater qu’il s’agit en fait d’une grosse flaque boueuse. Descente en bus jusqu’à Mezzocorona, où nous redécouvrons la chaleur des fonds de vallée en été…
Nous nous ravitaillons à fond en ville. Nous nous faisons littéralement exploser la sous-ventrière en mangeant deux excellentes pizzas italiennes chacun ! Depuis lors, je me souviendrai avec émotion de la pizza aux « finferli », les girolles… Puis c’est un long trajet avec un train et deux bus qui nous mène jusqu’à une autre station de sports d’hiver, Pozza di Fassa. En commençant à monter depuis le village, nous tombons sur un replat herbeux miraculeux au milieu de la pente raide, avec table de pique-nique en prime : l’endroit parfait pour poser un bivouac !
La Marmolada
+ 2200 m / – 1600 m 20 km
Nous quittons ce lieu qui avait pour seul inconvénient d’être à côté d’une piste bien passante et attaquons la première montée, peu mémorable car proche des remontées mécaniques. Au col nous pouvons enfin apercevoir la fameuse Marmolada, près de laquelle nous comptons passer aujourd’hui. Avant de monter ses flancs, nous redescendons sur un refuge où nous découvrons avec délices le Kaiserschmarren, sorte de grosse omelette aux raisins secs servie avec de la confiture de fruits rouges. De quoi donner de l’énergie pour la montée, et nous en aurons bien besoin ! En effet, nous voyons passer de nombreuses personnes avec des crampons : il y a un petit passage sur glacier sur le versant nord de la Marmolada, qu’on nous a dit être possible d’éviter par le côté.
Juste avant d’arriver au col qui surplombe le glacier, surprise : il y a un passage en via ferrata, et une vraie cette fois-ci, pas comme la dernière ! Elle était très mal indiquée sur la carte. Qu’à cela ne tienne, nous nous y engageons prudemment. Ce n’est pas difficile mais les sacs pèsent dans le dos. Nous parvenons au col, sorte de brèche étroite d’où nous voyons émerger le glacier dans la brume (ambiance montagne garantie !). Pour arriver sur le glacier nous passons encore sur une via ferrata, que l’humidité rend glissante : on ne fait pas les fiers ! Mais nous parvenons sur la gauche du glacier sans encombres. Il nous reste à longer le glacier sur sa partie gauche, qui tient plus de la moraine et est donc facilement praticable, pour finir par le traverser lorsqu’il redevient horizontal. Ouf, c’était une sacrée aventure ! Les Dolomites en bivouac, ça se mérite !
Le reste de l’après-midi se déroule sans encombres. Nous hésitons à planter la tente sur une magnifique pelouse sur un petit sommet qui domine toute la vallée. Toutefois le temps orageux nous dissuade de choisir une position découverte. Nous nous installons finalement près d’un torrent qui vient directement du glacier que nous venons de traverser. Nous admirons l’orage qui se déchaîne sur le massif de la Sella juste en face, tandis que pas une goutte n’arrive jusqu’à nous.
La lune Sella
+ 2000 m / – 1600 m 19 km
Grasse mat’ pour se remettre de la grosse journée d’hier, puis nous nous rendons droit sur le célèbre massif de la Sella. Mais d’abord, nous passons la matinée à longer une crête très parcourue puisqu’il s’agit d’un magnifique chemin balcon accessible en téléphérique. Ah, les ravages de la civilisation ! Nous nous dépêchons de quitter cette partie, même si la vue sur la Marmolada est superbe. Cela étant, la suite sera du même acabit : même si nous choisissons d’accéder au plateau de la Sella par la voie des courageux (600m bien raides), un téléphérique y mène tout droit…
Mais la foule ne nous empêche pas d’admirer ce paysage incroyable : nous débouchons sur un plateau d’un seul tenant à environ 2500m d’altitude, composé d’un paysage minéral presque sans végétation. De grands canyons s’ouvrent ça et là, on a l’impression de quitter la Terre… Ascension facile jusqu’au Piz Boè à 3150m (qui sera le point culminant de notre randonnée), d’où l’on domine tout le plateau.
Nous nous retenons soigneusement d’acheter la moindre chose au refuge au vu des prix. Comme nous commençons à avoir beaucoup de points de comparaisons, nous devenons de plus en plus exigeants… Puis nous nous engageons dans la descente. Hélas, celle-ci est indiquée comme très dangereuse et déconseillée, et notre expérience de la veille nous a suffi… Nous remontons donc sur le plateau et cherchons à sortir par une autre vallée. La fin de la journée se fait longue : nous ne pouvons absolument pas planter la moindre tente dans ce désert de cailloux. D’ailleurs nous croisons d’autres personnes tout aussi épuisées que nous, mais dans l’autre sens.
Après un groupe de bouquetins décidément pas peureux, nous apercevons le refuge et décidons d’y dormir si aucun lieu de bivouac ne se présente… Mais le miracle se produit : juste à côté du refuge, un triangle d’herbe minuscule (le seul à des kilomètres à la ronde !) nous suffit pour planter. Ouf… Le soir nous réservera un magnifique coucher de soleil sur les falaises dolomitiques.
Le Puez-Odle
+ 1600 m / – 1500 m 18 km
Après avoir courageusement mangé notre petit-déjeuner dans le froid en face des clients du refuge impressionnés, nous terminons la descente du massif de la Sella dans un petit couloir raide équipé. Vu les files de personnes que nous croisons en face par la suite, nous sommes bien contents de l’avoir passé de bonne heure. Nous montons ensuite dans le massif du Puez-Odle. Malheureusement, nous sommes encore une fois dans la foule : les grands week-ends d’août se font sentir… Le chemin sinue sur un grand plateau herbeux et caillouteux. Le beau temps n’étant pas vraiment au rendez-vous, le paysage nous apparaît assez quelconque. Surtout le chemin se fait long. Durant ces longueurs où l’attention se relâche, je manque de me tordre la cheville. Elle se rappellera douloureusement à moi à chaque pied mal placé durant les quelques jours qui suivent.
La descente du plateau se fait sous la pluie. Je commence à être exténué mais nous continuons d’avancer, il faut bien tenir le rythme. Nous cherchons un lieu de bivouac proche de la prochaine ville d’étape, Badia, puisque deux d’entre nous partiront demain avec le premier bus (pour laisser la place à une autre personne nous rejoignant, décidément ces tentes sont bien rentabilisées !). Mais la fin est tellement longue… Je finis la journée sur les rotules, nous nous installons sur un petit replat derrière un groupe de maisons. Le soir, des enfants d’à côté et leur père viennent parler avec nous. L’on apprend donc que dans cette vallée et quelques autres est parlé un dialecte ancien. Il s’agit du ladin (proche du romanche), l’une des langues les plus rares d’Europe ! En effet, le père nous déclare qu’il peut reconnaître les personnes du village d’en face à leur accent …
Repos à Badia
+ 900 m / – 500 m 13 km
Ce matin, nous partons sans presque rien dans le ventre car la pensée d’un vrai petit-déjeuner dans la ville proche se fait trop insistante. Après 2 semaines de randonnée, un croissant apparaît comme un luxe invraisemblable ! Nous nous goinfrons de croissants (la version italienne, avec du Nutella dedans) puis passons la journée à nous reposer tranquillement non loin de la rivière. En effet, l’ami qui nous rejoint n’arrive qu’en milieu d’après-midi. Nous en profitons pour nous faire une nouvelle fois exploser le ventre avec des pizzas. Puis c’est reparti (sous un orage !) droit sur la montagne, direction la Vénétie. Nous nous installons sur une pelouse tellement parfaite qu’on la prendrait pour un terrain de golf, juste en-dessous de la partie rocheuse que nous réservons pour le lendemain. Typique des Dolomites en bivouac !
Le Fannes-Sennes-Braies
+ 1700 m / – 2300 m 23 km
Sous ce triple nom un peu barbare se cache un joli parc naturel, un peu plus épargné par les touristes que les massifs avoisinants plus connus, et dans lequel nous passerons toute la journée. Une fois arrivés sur le plateau, nous retrouvons ce paysage que nous commençons à bien connaître composé de prairies d’altitude et de lapiaz. Nous parvenons au refuge Fanes situé en plein milieu du parc. Il gagne haut la main le titre de refuge le plus luxueux que j’ai jamais vu : la porte ouverture automatique dans l’entrée annonce la couleur… Après quoi nous passons par un petit chemin peu emprunté pour redescendre dans la vallée suivante.
Mauvaise idée : sans doute à cause d’orages violents, de grands fossés de ruissellement traversent le chemin de part et d’autre sur une pente raide. Nous franchissons sans problème les petits mais le plus grand nous donne du fil à retordre. Il est bien profond de trois mètres et la roche est friable… Nous trouvons malgré tout un chemin un peu instable et franchissons les derniers obstacles. Une fois dans la vallée, nous décidons de pousser le plus loin possible afin d’attaquer les Tre Cime (sans doute le massif le plus connu des Dolomites) tôt le lendemain matin. Un bus de fin de journée nous emmène au « Tre Cime Panoramica », qui porte indéniablement bien son nom… Un bel endroit pour se reposer après cette longue journée.
Les Tre Cime
+ 1600 m / – 1400 m 19 km
Nous voilà partis en direction de ce fameux massif à trois sommets. La montée se fait dans un paysage verdoyant et agréable, mis à part une halte à une ferme-auberge où l’on nous demande de ranger vite fait nos affaires qui encombrent le parking inutilisé… Puis, à peine arrivés sur la partie sentier balcon accessible par la route, c’est le bain de foule. Alors certes, c’est l’une des meilleures vues des Dolomites, on peut y apercevoir tout notre trajet et bien plus encore. Certes, les trois cimes sont majestueuses, et c’est marrant de repérer les escaladeurs en plein milieu. Mais la foule version jour de l’an aux Champs-Elysées gâche un peu la promenade. Au refuge des Tre Cime, il y a véritablement la queue pour ne serait-ce que rentrer !
Nous continuons sur un chemin qui amorce du dénivelé et c’est la chute brutale de fréquentation. Vraisemblablement, ce n’est pas la mode de faire les Dolomites en bivouac. La descente nous mène dans une superbe vallée avec un torrent consistant en un très large lit de cailloux (ça doit envoyer lors du printemps…). Nous y trouvons un coin de bivouac si parfait que nous nous y arrêtons, même s’il est un peu tôt. Herbe grasse, table de pique-nique, fontaine : que demander de plus ? C’est l’occasion de prendre un rafraîchissement au refuge d’à côté ! Le soir, nous tombons (pour la première fois en quinze jours, quand même !) sur des campeurs itinérants comme nous, qui s’avèrent être… français ! A croire que la tente est un truc de Gaulois. Ce sera une belle occasion pour se servir un peu du jeu de Tarot.
Les Alpes Carniques et le Frioul – Vénétie Julienne
Sexten et les Alpes Carniques
+ 1600 m / – 1500 m 16 km
Revigorés par la soirée reposante de la veille, nous amorçons la descente vers Sexten de bon matin. Nous nous ravitaillons à la ville. Les croissants ne sont pas aussi bons qu’à Badia, dommage ; par contre les Bretzels valent le coup, nous sommes juste à côté de l’Autriche. Nous entamons ensuite l’ascension du mont Helm, à 2500m, qui marque le début de la chaîne des Alpes Carniques, frontière entre l’Autriche et l’Italie.
Nous sommes heureux de pouvoir mettre un pied en Autriche : cela fait un pays de plus (avec la Suisse et l’Italie) à ajouter à notre randonnée ! Toutefois nous n’y sommes pas encore car sur le chemin de la montée nous tombons sur d’appétissants refuges. Au troisième qui propose une carte alléchante à prix bas, nous décidons d’y passer le midi. Tant pis si l’on ne parvient pas à repartir après ! Et c’est un excellent repas que nous faisons, entre les spaetzle, les canederli (sorte de boulettes de pain au speck ou champignons) et le gâteau de ricotta…
Le démarrage en côte juste après est rude en effet ! Toutefois la crête n’est pas très loin et nous offre un beau panorama. Nous allons la suivre jusqu’au lendemain midi, difficile de garder un œil sur le chemin ! On ne se lasse pas de cette belle ligne de crête variée et bien peu passante comparée aux Dolomites. Bivouac près d’un petit étang avec une vue imprenable (et quelques moutons un peu insistants).
Les Alpes carniques, suite
+ 1300 m / – 2600 m 24 km
Nous voilà repartis pour la suite de la crête par un matin bien frais. Nous enchaînons une série de cimes avec panorama à 360°, un vrai plaisir. Peu après un petit bain dans un lac poissonneux, nous quittons cette belle crête pour rejoindre la prochaine vallée. Le plan était de remonter dans le massif suivant pour rejoindre San Stefano di Cadore dans la soirée. Toutefois l’heure tourne et l’un d’entre nous a un peu mal à la cheville. Nous décidons donc de couper au plus court et passons par une petite vallée sympathique mais pas inoubliable (mis à part le fait que nous avons en plus réussi à nous égarer réciproquement). Le but est de démarrer le lendemain de Forni di Sopra, qui se situe à une certaine distance par bus, pour rejoindre un autre ami.
En arrivant au minuscule village de Sega Digon, nous réalisons que les horaires de bus nous imposent de dormir dans un village à mi-chemin, Lozzo di Cadore. Il nous reste une heure pour le bus, nous décidons donc de préparer notre dîner. Hélas, l’orage se met de la partie et menace notre butagaz. Qu’à cela ne tienne, nous nous installons dans le seul abri disponible : un petit oratoire disposant d’un toit ! Tous les passants se paient une tranche de bon temps en nous voyant faire nos coquillettes devant la Vierge Marie.
Les aventures burlesques de la journée ne sont toutefois pas finies ! Nous prenons le bus qui nous dépose à Lozzo sous un orage toujours grondant. Nous décidons d’attendre qu’il se dissipe au café du coin avec le jeu de tarot. La pluie continue et la nuit tombe… A dix heures nous nous voyons obligés de partir à la frontale en espérant trouver vite un endroit pas trop inondé pour planter la tente. C’est alors que nous passons sous l’autoroute et découvrons un large espace couvert de sciure bien confortable… Ni une ni deux, nous établissons notre camp sous l’autostrada ! Ce ne fut décidément pas le bivouac le plus glamour du séjour mais il nous a bien sauvé la mise sous la pluie battante. Il y a même relativement peu de passage, nous passons finalement une assez bonne nuit.
Le Frioul, première partie
+ 1600 m / – 1600 m 15 km
Nous prenons de bon matin un bus pour rejoindre Forni di Sopra où nous attend un dernier ami pour l’ultime partie de cette randonnée qui se déroulera dans le Frioul. Nous partons avec des sacs bien chargés pour ces deux derniers jours, afin de fêter un peu cela. La montée se fait sous un soleil de plomb (l’altitude n’est plus si élevée désormais). Il y a quelques randonneurs jusqu’au premier refuge mais après c’est le désert total ! Nous voyons bien que nous sommes sortis de la zone touristique.
Un petit passage rocheux histoire de ne pas perdre la main et c’est déjà la redescente de 1000m pour la vallée suivante. Le passage en forêt se fait très joli sur la fin, comme nous avons du temps nous en profitons pour lézarder un peu au bord d’un ruisseau. Nous arrivons ensuite bien vite à la vallée suivante, où un apéritif bien mérité nous attend au refuge Pussa (et un orage bien chargé après le repas).
Le Frioul, deuxième partie
+ 2000 m / – 1500 m 17 km
C’est une ascension de 1000m d’un coup, similaire à la veille, qui nous attend en début de matinée. Le chemin est bien marqué mais nous n’y croisons absolument personne ; c’est un plaisir de marcher sur ce sentier plus sauvage et reculé que ce que nous avons pu faire les jours précédents. Toutefois après le col nous attend une descente longue et peu plaisante dans le lit d’un torrent asséché. Oui, le chemin passe bien par là, nous voyons des balises de temps à autre ! Il nous faut donc descendre 800m en sautant d’un rocher à un autre, cherchant le chemin le plus praticable dans ce lit de cailloux…
Vers la fin nous croisons les premiers randonneurs de la journée, nous nous saluons dans un italien hésitant… Pour s’apercevoir qu’il s’agit aussi de français ! Ils ont l’intention de monter jusqu’au col dans le cagnard de ce chemin pierreux ; nous leur souhaitons bien du courage et continuons notre route. Peu après, nous débouchons brusquement dans la vallée, qui est en fait constituée d’un immense lit de cailloux à sec. La saison des pluies ne doit pas plaisanter dans le coin ! Nous prenons une longue pause bien méritée dans un des rares coins d’ombre, puis reprenons notre chemin à fond de vallée. En fin de journée, nous nous élevons à nouveau un peu pour entrer dans des pâturages qui dominent une petite vallée. Nous établissons notre dernier bivouac de la randonnée, de quoi faire une petite fête en finissant toutes les provisions.
Y’a pas à dire, les Dolomites en bivouac, c’est le pied !
Fin des Dolomites en bivouac, au revoir la montagne…
+ 700 m / – 1500 m 11 km
Nous partons de bonne heure car le bus passe avant midi au village de Claut et il ne s’agirait pas de le laisser passer. Nous avons prévu le temps pour une dernière petite ascension sur un sommet non loin du chemin (le monte Fratte) en espérant avoir une belle vue sur le Frioul et peut-être même jusqu’à Venise. Peine perdue : non seulement le temps est brumeux, mais en plus une autre dernière chaîne de montagnes avant la plaine nous cache la vue. Nous prenons quand même le temps d’admirer le panorama. Puis c’est la descente, qui se fait bien rapidement sur ce bon chemin (ce n’est pas le torrent de la veille !).
Nous arrivons en avance au village. Nous en profitons donc pour nous baigner une dernière fois dans un beau torrent d’eau claire. Après quoi, c’est le retour à la civilisation ! A Padoue, où nous attendons le Thello pour rentrer en France, nous nous précipitons à un délicieux restaurant de pâtes que nous connaissons bien, et qui nous a mis l’eau à la bouche pendant toute la fin du trajet. Une belle aventure que ce parcours de trois semaines qui nous a mené à travers des paysages remarquablement variés ! Peut-être reprendrons-nous non loin de là une année suivante afin de randonner plus à l’Est…
Cet article “Dolomites en bivouac” a initialement été publié sur le site i-trekkings.net. L’appareil photo étant choisi pour sa légèreté, les photos sont de moindre qualité que sur le reste de ce site Web.
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